Jean Taittinger, le bâtisseur.

Pierre-Emmanuel Taittinger nous avait prévenus. Il n'avait que trente minutes à nous consacrer dans son emploi du temps surchargé. Au final, quand il a fallu ouvrir la porte des souvenirs, il est resté une heure et demie à nous parler de son père. Intarissable et touchant. Sur l'auteur de ses jours, il n'a que des compliments à faire. Il évoque «un travailleur acharné, qui bossait nuit et jour, samedi et dimanche compris. C'est un homme qui décidait très vite.» Un fou de boulot, continuellement à la tâche «pour construire et reconstruire cette ville», dont il a présidé aux destinées de 1959 à 1977. Crèches, universités, hôpital, résidences pour personnes âgées, équipements sportifs et culturels, etc. : Jean Taittinger fut un infatigable bâtisseur. C'est aussi à lui qu'on doit l'émergence de quartiers populaires, comme Orgeval ou Croix-Rouge. «Ce qui fait que Reims est l'une des premières villes HLM de France.

Mon père les voulait dans la ville pour que les gens se sentent des Rémois à part entière. Il ne voulait pas que ces immeubles soient dans des communes périphériques.» À son actif également : avoir attiré de nombreuses entreprises, installé une cour d'appel et restauré le patrimoine, dont le palais du Tau. Les vitraux de Chagall - fierté de la cathédrale - , c'est aussi grâce à lui. Sans parler des autoroutes A4 et A26 et de la construction de l'aéroport Reims-Prunay. Tout ça grâce à «un poids politique très fort qui lui permettait de financer beaucoup de projets grâce à l'État», selon son fils. Jean Taittinger était député, puis ministre durant les trois dernières années du mandat de Georges Pompidou. «Il a laissé les trois derniers budgets en équilibre de la France, contre l'avis de Giscard qui était ministre des Finances mais voulait se présenter à la présidentielle donc ouvrait les vannes pour se faire élire», raconte Pierre-Emmanuel Taittinger. «Mon père considérait qu'on ne pouvait pas demander à la ménagère d'avoir un budget en équilibre, à une entreprise, à une ville, si on laissait l'État montrer le mauvais exemple. Pour lui, c'était une question de respecter l'argent des Français.» Le maire de Reims était à l'époque dans les petites papiers du Président. «Pompidou lui accordait une confiance totale, il l'avait nommé ministre d'État.» Ces hautes responsabilités, Jean Taittinger en faisait peu de cas. L'apparat ne l'intéressait pas. «Il n'a jamais refait faire son bureau, jamais fait de dépenses somptuaires pour lui», évoque son fils. «Mon père n'était pas élu par les bourgeois, mais par le petit peuple de Reims. » Chaque samedi matin, il recevait ses administrés. «Il avait un seul mot qui comptait pour lui, l'efficacité. Il avait quatre secrétaires, dictait 200 lettres par jour. Il aimait que les choses avancent vite. Il raisonnait avec son intelligence, mais au bout du compte, il donnait toujours priorité au cœur», résume son fils. Les soirs d'élection, quand il triomphait de son rival communiste René Tys, les deux hommes allaient trinquer ensemble, «dans les locaux de L'union, où ils buvaient une bouteille de champagne. » Autre temps, autres mœurs.

Baise-main

Comme le maire de Reims était un personnage, les préfets tout juste nommés avaient l'habitude d'aller se présenter à lui. L'un d'eux, un jour, lui fera un baise-main, comme un prélat au pape, suscitant l'hilarité de Corinne Deville, son épouse. «Ma mère n'aimait pas la politique, c'était une artiste», glisse Pierre-Emmanuel Taittinger. Dans son rapport aux Rémois, le ministre de Pompidou faisait des choix qui peuvent surprendre aujourd'hui: «Il augmentait les impôts avant les élections, faut le faire ! Il n'était pas du tout démago. De la même manière, quand il allait dans les quartiers, il était toujours impeccablement habillé. Il considérait que c'était une façon de respecter les gens qui y vivaient.» Ce gaulliste social restera maire dix-huit années au total, plus que n'importe quel autre édile d'après-guerre. Avec l'ambition de faire grandir une cité qu'il estimait trop petite : «C'était la ville aux 500 grues ! Il considérait que Reims, pour attirer les meilleurs médecins et avocats, devait avoir 400 000 habitants...» On en est loin aujourd'hui. C'est quand mon père est parti dans les affaires que j'ai commencé à le connaître Pierre-Emmanuel Taittinger Avec tout ça, Jean Taittinger n'était pas toujours disponible pour sa propre famille. « Il aimait ses enfants mais n'avait pas le temps de les voir. C'est quand mon père est parti dans les affaires que j'ai commencé à le connaître», témoigne son fils. Il garde le souvenir d'un homme «d'une intégrité absolue», qui en imposait à la scène comme à la ville:«Il était le même pour nous que pour les gens, j'étais au garde à vous devant lui ! Il me convoquait une fois par an dans son bureau de maire. Il bossait tout le temps alors que, moi, je ne foutais rien, mais je l'aidais pour ses campagnes électorales.» Campagnes gagnantes, à chaque fois, jusqu'à la reconversion vers le business. «Il a fait le choix de ne pas se représenter. Sinon il aurait été réélu», assure son fils. Et chose inattendue, c'est un communiste, Claude Lamblin, qui va lui succéder à la mairie.

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Le foudre de Chigny va revivre.