Pierre-Emmanuel Taittinger, le charismatique patron des champagnes du même nom. Le Prince de Champagne
Reims. Il y a une anecdote que Pierre Emmanuel Taittinger, patron du champagne du même nom, aime à raconter et qui, finalement le résume assez bien. C’était peu après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République. « Il avait décidé la reprise des essais nucléaires. Et voilà que j’arrive à Auckland, Nouvelle-Zélande. Autant vous dire que les Français n’étaient pas les bienvenus. Tous les journalistes se ruent sur moi, pour me parler des essais nucléaires. Moi j’étais là pour parler du champagne. J’ai réfléchi un moment et je leur ai dit ça : sur la terre des grandes batailles de la Première Guerre mondiale, une terre gorgée de sang, je produis le vin du bonheur. Le paradoxe total ! À la fin de la semaine, on ne voyait que moi sur les chaînes de télé ».
Cette capacité à séduire, à emporter les hommes, les équipes, est un trait de caractère de Pierre-Emmanuel Taittinger, qu’à Reims tout le monde connaît et que beaucoup surnomment « Titi ». La saga des Taittinger s’enracine ici, dans la terre crayeuse de Champagne à laquelle il est passionnément attaché. C’est là qu’il est né en 1953. Il est le fils de Jean, qui fut ministre sous Pompidou et surtout maire de Reims, et y a laissé son empreinte, et petit fils de Pierre, fondateur de la maison de champagne.
Ambassadeur de sa terre et de son vin, (5,5 millions de bouteilles produites par an), Pierre-Emmanuel Taittinger parle du champagne avec un évident bonheur. « C’est le vin de la fête. Un élixir ! Les maîtresses de Louis XIV et Louis XV trouvaient que leur royal amant avait plus de vigueur lorsqu’il en avait bu. C’était mieux qu’avec le vin de Bourgogne ! Aujourd’hui le monde est anxiogène. Et ce vin est délicieux, de préférence dans une jolie coupe, en trinquant les yeux dans les yeux »…
Humilité et ferveur
Il se revendique « 100 % provincial », même s’il court le monde en permanence pour parler joyeusement de son vin. « J’ai hérité de ma mère son côté artiste, rêveur, poétique. Et de mon père, me vient la foi, le devoir, le sens de la mission. ». Un esprit patriote hérité du héros familial, son oncle Michel, jeune polytechnicien mort à 20 ans en 1940, le sabre à la main, pour défendre le pont de Saint-Parres-aux-Tertres.
La Champagne et son vin, la maison Taittinger, c’est sa vie. Et aussi celle de ses enfants, Clovis et Vitalie, qui travaillent au sein de l’entreprise. Clovis au marketing, et Vitalie, prête son visage et son élégance aux campagnes de communication. L’assurance qu’après lui, la saga continuera… Dans son grand bureau lumineux et assez encombré de la rue Sainte-Nicaise, juste au-dessus des crayères gallo-romaines que vient de classer l’Unesco, il règne sur la dernière grande marque de Champagne à porter le nom de la famille qui la dirige. Il le fait avec une forme d’humilité, qui vient peut-être de cette ferveur réelle qui l’habite. « Je suis croyant et j’ai la foi. C’est un mot qu’on n’ose plus dire aujourd’hui », glisse-t-il en songeant au jour où il aura 65 ans et il passera le flambeau. « Là, j’aurai tout mon temps. Pour marcher en montagne, aller visiter des églises. Et mourir. Ça aussi ça se prépare… »
Mais son plus beau fait d’armes, accompli avec panache, c’est il y a tout juste 10 ans qu’il le signe. En 2005, la quarantaine d’héritiers du Groupe Taittinger qui possède des hôtels de Luxe (le Crillon, le Lutetia, le Louvre…), le Martinez à Cannes et quelques autres joyaux, mais aussi Baccarat, les parfums Annick Goutal et le champagne éponyme, signent avec l’Américain Starwood capital le contrat de vente qui va démanteler l’empire.
L’honneur familial sauvé
Pierre-Emmanuel Taittinger ne peut se résoudre à cette idée. Vendre c’est trahir. Sa foi le porte. En secret, seul, il prépare une contre-offensive audacieuse. Le jeune directeur général rallie à sa cause les syndicats de vignerons. La CGT, influente, l’appuie. Il va solliciter Bernard Mary, le puissant patron du Crédit Agricole du Nord Est.
« Avant le rendez-vous, je suis allé sur la tombe de mon grand-père, Pierre. ». Sous la pluie, il parle à Pierre, il invoque l’oncle Michel. Puis il se lance. Quand il entre à la banque le soleil est revenu. « Je lui ai apporté en gage un livre que m’avait dédicacé mon grand-père : ‘’À Pierre-Emmanuel qui saura un jour oser, entreprendre et conserver, dans l’intérêt de la famille et du pays’’. » Le deal était celui là : si l’opération réussissait, Pierre-Emmanuel Taittinger récupérait le livre, sinon, Bernard Mary le brûlait.
Son audace suscite le respect des grands financiers, Albert Frères, LVMH… qui étaient aux aguets, prêts à racheter Taittinger. La banque le suit. Il jette toutes ses forces dans la bataille, met 590 millions sur la table. Personne ne surenchérit. C’est fini, il a gagné, et sauvé l’honneur familial. Ne vous étonnez pas après cela, que son champagne ait un goût incomparable !