Pierre-Emmanuel Taittinger - Amateur de brut, en art aussi.
Le président de Champagne Taittinger apprécie l'audace des artistes singuliers.
On attend l'austérité des grandes familles et le convenu de l'univers du luxe, et c'est un homme singulier qui s'exprime sur sa quête de l'art singulier. Pierre-Emmanuel Taittinger, président du champagne du même nom, décrit avec gourmandise cette branche artistique voisine de l'art brut ou naïf : "Elle s'exprime en dehors des modes et des marchés. Ces artistes se mettent à l'écart de la marche du monde."
Des grandes signatures, il y en a, bien sûr. Clovis Trouille, découvert par André Breton, qui surveillait les rayons de la Samaritaine et n'a connu qu'une exposition de son vivant, ou son ami Alfred Courmes - auquel la fille de Pierre-Emmanuel a consacré un livre, dont la toile illustrant la couverture a été achetée par Coluche. "Les oeuvres de ces artistes sont décalées, ironiques, surchargées, saturées de couleurs." Si le mot avait un sens, on parlerait d'une peinture de mauvais goût.
"Derrière un foisonnement de couleurs criardes et des traits épais se cache souvent une technique irréprochable du portrait et des harmonies", précise Pierre-Emmanuel Taittinger. Les inspirations sont au choix hyper- ou irréalistes, souvent insolentes, érotiques, pleines de dérision pour les institutions et les icônes.
Il ne faut pas chercher chez lui de provocation dans cet attrait pour le singulier, mais une marque d'indépendance, l'expression d'une liberté, une distance assumée avec l'univers du luxe, inséparable du champagne. D'ailleurs, Pierre-Emmanuel aime aussi la peinture de Nicolas de Staël ou de Georges Rouault et, pour illustrer l'étiquette de la cuvée Collection, la maison ne choisit que des artistes internationalement reconnus.
Pierre-Emmanuel Taittinger, lui, ne sait ni dessiner, ni peindre. "J'adorerais peindre par artiste interposé." Mais il a l'oeil, formé sous l'autorité de sa mère, elle-même peintre figurative de talent, qui n'expose pas. "Ma mère m'envoyait visiter des musées et me demandait de lui faire un compte rendu", raconte-t-il. Efficace.
"J'aime tout ce qui est singulier", poursuit-il. En matière de gastronomie, celui qui a fait revenir la vénérable maison Taittinger dans le giron de la famille reconnaît une faiblesse pour la charcuterie et les abats, regrettant la disparition de la boutique rémoise Au cochon sans rancune. "La charcuterie représente pour moi le versant singulier de la gastronomie. Mais reprendre la maison de champagne à son nom, n'est-ce pas aussi singulier ?"
* Un livre
"Alfred Courmes", par Vitalie Andriveau* et Gilles Bernard (Le Cherche-Midi).
* Vitalie Andriveau est la fille de Pierre-Emmanuel Taittinger, à laquelle il a transmis sa passion.
* Ses peintres préférés
Artistes singuliers : Clovis Trouille, Alfred Courmes, Didier Chamizo... Artistes classiques (ou presque) : Jean-Michel Basquiat, Francis Bacon...
* Une exposition à voir
"Voyous, voyants et voyeurs... autour de Clovis Trouille (1889-1975). Musée d'art et d'histoire Louis- Selenq de L'Isle-Adam (Val-d'Oise), jusqu'au 7 mars 2010. Une rétrospective de l'oeuvre de cet artiste surnommé par André Breton "le grand maître du tout est permis".
* Un site Internet à consulter
www.artsingulier-lesite.com
*Une philosophie
"Etre sérieux sans se prendre au sérieux".